
« Faire son deuil »?
- Publié par Marie Fournier-Bidoz
- Le 5 avril 2020
Le deuil : un mot bien connu de tous. Un parcours, des étapes, qui se présentent comme étant « essentiels » pour celui qui perd un être cher. Comme une liste d’émotions et de ressentis à traverser à supporter et à surpasser. Une liste bien organisée, un parcours sur quelques mois où l’on pourrait (ou devrait ?) passer du déni, à la tristesse, à la colère et enfin à l’acceptation. Une fin à la fois légère mais aussi douloureuse. Accepter que l’autre ne soit plus là, accepter sa mort, son absence, accepter notre condition, la perte de son enfant, accepter quoi finalement ?
Cette expression bien connue « faire son deuil » peut ainsi s’avérer très pesante et culpabilisante. Qu’est-ce que cela veut-il vraiment dire ? Accepter ? Oublier ? Tourner la page ? Tout un parcours qui peut sembler insurmontable et difficilement atteignable. Une expression utilisée à tout va.
Jugée de ne pas « aller de l’avant », de « pleurer encore », de « rester chez elle », de « se renfermer ». Jugée finalement de ne pas « réussir à faire son deuil ». La certitude étant aujourd’hui que « faire son deuil » serait alors de passer à autre chose, tourner la page ou bien même ne plus être triste.
Mais voilà, il me semble que faire son deuil pourrait être pensé comme une suite de notre histoire. Une suite évidemment douloureuse et pesante parfois. Mais une suite qui nous conduirait, petit à petit, à un ressenti plus léger. Il n’est pas possible de faire son deuil « à la va vite », balayer les choses comme s’il ne s’était rien passé. La mort remue les profondeurs de l’être et vient nous fragiliser, un temps.
On avance dans sa barque, avec lui l’on veut et qui l’on peut surtout. On avance au gré du courant. On bifurque parfois à droite, parfois à gauche. Il se peut que l’on chavire. Puis le courant peut devenir plus léger, l’air plus doux, le vent plus calme… On croise des gens sur son chemin. On parle, on écoute, on se tait, on pleure, on rit… Puis finalement l’avancée peut sembler, au fil du temps, plus douce, moins douloureuse. On pagaye plus facilement, tout devient plus fluide…
La parole semblerait être essentiel au processus de deuil. Le monde peut s’en trouver parfois privé. Parler, évacuer, dire, raconter, s’exprimer… Des mots bien souvent employés mais qui peuvent se révéler très couteux pour chacun. Et pourtant, des mots tellement importants. De la parole qui libère, des mots qui apaisent, des sons qui réchauffent… Pierre Poisson, psychologue, nous dit que « nous sommes dans un monde qui doit impérativement repartir à la conquête de la parole ». La tristesse dérange et plonge certainement l’autre dans une telle impuissance qu’il choisit alors de ne pas dire ou d’empêcher la parole. Annuler tout affect douloureux : faire rire, parler d’autre chose, faire comme-ci, ne pas savoir, etc. Notre société semble être intolérante à la souffrance psychique. Le risque étant de glisser vers l’enfermement et l’isolement de celui qui souffre. Il me semble essentiel de pouvoir entendre la souffrance de chacun. Entendre ne signifie aucunement comprendre. Mais simplement être là. Juste ici, pour l’autre.
La douleur de la perte pourrait être imagée par un gros caillou au fond de sa poche. Un caillou lourd, que l’on sent à chaque pas. Un poids qui peut faire mal. Mais finalement un poids avec lequel on cohabite et qui, au fil du temps, peut paraître bien plus léger. Et peut-être un poids qui nous permet de garder en mémoire cet autre. Cet autre qui nous manque, qui nous habite et qui garde sa place au plus profond de nous. Cet enfant, ce conjoint, ce parent, cet ami, celui qui compte tant et qui marque par son absence mais aussi par ses souvenirs.
Marie Fournier-Bidoz, Psychologue clinicienne & psychothérapeute
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